Les rivières
Parfois je me demande
Dans quelle mesure c'est possible, les liens peuvent-ils etre si profonds entre les choses, l'homme peut il vraiment raccorder son intime à ce qu'il a rencontré ou dans quelle mesure ne suis-je pas juste d'une névrose compliquée, je pleure en pensant à mon père et en réalisant ce que nos années de séparation ont représenté, je réalise la césure, je pense à ce lien non pas distant, non pas vidé, mais vraiment interrompu et je réalise dans ce bus qui m'emmène et dans lequel j'essaie de suivre le fil de mes pensées un peu humides, je réalise que ce même mot interrompu je l'ai utilisé quelques jours auparavant en lui parlant mon homme et je me demande si je suis folle ou si on peut réellement être lié à tout ce qu'on a vécu, s'il y a vraiment un lien entre l'interruption de l'amour pour mon père et l'interruption de ma jouissance pour mon homme, cette peur incommensurable qui me fait repousser ce moment sans cesse, apeurée de jouir, apeurée de sentir jusqu'au bout ce que deux êtres humains sentent lorsqu'ils fusionnent, refuser mon corps dans son entier, est ce que c'est possible est ce que nous sommes si dépendants à toute cette intériorité, je me demande, souvent, comment je pourrais vivre si je n'avais pas ces clés là, vivons nous jusqu'à la fin avec des mots confus en bouche et des noeuds indolores à la longues mais coincés dans les côtes, dans le coeur, dans le sexe, dans la tête, est-ce qu'on dégueule un peu tous les jours est-ce que c'est comme ça que la majorité des gens vivent sans s'entendre, est-ce qu'ils ne trouveraient pas hallucinant ces liens entre ma petite et ma grande histoire est-ce qu'il verraient derrière l'extrapolation, ou est-ce qu'on nage dans cette eau épaisse jusqu'au jour où on trouve ces sens qui remplacent la douleur, est ce que j'ai trouvé du sens est-ce que ça remplacera la douleur? Je repense aux pensées profondes à l'introspection je me demande à quel point j'ai avancé en liant toutes ces choses entre elles mais j'ai comme un vertige à me sentir si proche de ce qui est tout au fond à l'intérieur et si précis et si abstrait et je me dis parfois c'est comme si ce que d'autres finissaient par ne plus voir ou dépasser moi je restais bloquée, ancrée, attachée, jusqu'à ce que je trouve le mot, le sens, l'interprétation qui me libère, qui me donne à respirer, à manger, à pleurer, je pleure beaucoup en ce moment, dans mes rêves, dans ma vie, je crois que c'est bien, je crois que ça sort par tous les pores. Enfant je me pensais si différente des autres, coincée dans autre chose, dans une autre vie, dans d'autres pensées que celles que les autres se posaient. C'est comme si j'étais restée coincée là bas et qu'il me fallait toutes les clés pour entrer dans ma vie d'adulte, que je devais prendre les chemins de traverse.